La chambre à coucher des maîtres

(suite de l'histoire commencée dans le salon de la maison)

La chambre était relativement luxueuse considérant la taille de la maison. Un grand lit siégeait au milieu de la pièce, remplie de draperies et rideaux qui cachaient l'intérieur de l'extérieur. Les tissus étaient choisis avec soin pour donner une atmosphère délicate et agréable à la pièce. Un grand tapis sous le lit semblait délimiter un espace virtuel du reste de la pièce. Les meubles étaient peu nombreux, mais tous étaient d'un beau bois de qualité et ajoutaient une note solennelle à l'ensemble.

Seul, au pied du lit des maîtres, dénotait un petit drap posé sur le sol à côté d'un anneau fixé au lit. Oh! et il y avait aussi les différents anneaux aux quatre coins du lit qui servaient à Kay a jouer avec Davy certains soirs, comme en témoignait les cordes, menottes et autres cravaches répartis sur le tapis de temps à autre... uniquement lorsque Davy n'avait pas encore fait le ménage.

Kay s'était réveillé en premier cette fois. Ce n'était pas souvent le cas. Mais son esprit était en effervescence, partagé entre ses réflexions et sa rencontre de la veille, mais aussi à cause de son étrange réaction envers Davy. Cette pointe de douceur qu'il avait eu avant de se coucher, lui semblait étrange. Et sa pensée sur la docilité de Davy lui restait en tête...

Il caressait d'ailleurs les cheveux de ce dernier pendant qu'il dormait assoupi sur lui.

– Davy, chuchota-t-il, es-tu réveillé ?

Mais Davy ne bougeait pas. Alors Kay referma les yeux. Aujourd'hui il prendrait un peu de repos.

Après une soirée quelque peu mouvementée, Davy s'était ensuite endormi avec bonheur sur la poitrine de Kay. Il profitait chaque fois à fond de ces privilèges trop rares à son goût...

Il ne sentit point la douce main de son amant qui lui caressait les cheveux, ni même sa voix lui chuchotant à l'oreille. Pourtant, il aurait bien aimé...Car Davy faisait présentement un cauchemar fort désagréable.

Il ne comprenait pas tout ce qui se passait dans son rêve. Il y avait Kay, et lui, Davy. Une jeune fille blonde également, et qui parfois semblait brune...Des éclairs...Du danger...Une guerre? Il voyait du sang, des larmes, les siennes...Sa fin.

Oui, voilà ce qui ressortait: sa fin. Quelque chose se tramait, il en eu la certitude.

De par son côté Cupidon et donc magique, il pouvait parfois arriver à Davy d'avoir des genres de rêves prémonitoires...Il en avait déjà parlé à Kay mais, jusqu'à présent, n'en avait jamais eu un qui fût réellement important ou utile. Sauf que cette fois il sentait au plus profond de lui que c'était du sérieux...

De fait, il se mit à bouger de plus en plus fort dans son sommeil, avant d'éclater en sanglots et de se mettre à crier en se débattant des choses incompréhensibles. Il n'avait pas vraiment de conscience d'être réveillé...Et il avait peur.

Il n'arrivait pas souvent que Kay soit touché par la douleur de Davy. Par le contrat implicite qui les liait, Davy était un moyen pour Kay de décharger ses sentiments afin de garder l'esprit clair. Ce ne fut jamais spécifier ainsi, mais quiconque aurait analysé leur couple étrange dans sa façon de fonctionner, aurait pu le voir s'il disposait d'une quelconque empathie. De l'extérieur, personne ne pourrait penser que Kay ait de l'amour pour Davy, mais personne ne douterait de l'amour de Davy envers Kay. Sauf s'il avait aperçu le regard de Kay au moment où Davy hurla.

Kay sursauta en écarquillant les yeux. Ses yeux redevinrent noir comme à leur naissance, sans aucun reflet rouge qui faisaient leur étrange particularité. Sa peau frissonna, comme si quelqu'un le menaçait dans son intégrité. Ses bras saisirent Davy et les larmes au yeux le serrèrent contre lui.

Davy ne semblait pas réveillé. Du moins, il ne semblait pas conscient de l'être. Ils restèrent ainsi peut-être dix à quinze minutes... peut-être plus. Ce fut Kay qui le premier sortit de sa transe protectrice. Un éclair traversa ses pensées.

– Mais qu'est-ce que je suis en train de faire ?

Il lâcha Davy. Le regarda en se disant, encore une fois, que son pouvoir de Cupidon n'était peut-être pas si inactif sur lui. Ce serait bien le premier habitant de Célestial qui aurait eu cet effet.

– "Davy... réveilles toi !", dit-il simplement.

Ses yeux retrouvèrent leurs reflets rouges.

ALors que Davy hurlait, perdu dans ses visions cauchemardesques, le salut que son âme implorait lui fut enfin accordé. Des bras chauds et protecteurs l'enveloppèrent, le serrèrent, et le ramenèrent doucement à la réalité. Progressivement, le jeune garçon se calma et ses cris cessèrent. Ne restèrent que les halètements sporadiques de celui qui vient de pleurer toutes les larmes de son corps. Il savait où il était maintenant: dans les bras de Kay. Il s'y sentait en sécurité, en totale confiance, et avait le sentiment que rien de mauvais ne pourrait lui arriver tant qu'il serait là. Ç'avait toujours été ainsi, et ça n'allait probablement pas changer de sitôt...

Bientôt, Kay le lâcha, et lui ordonna simplement de se réveiller. Le souffle toujours irrégulier, Davy essuya du revers de la main ses yeux encore brillants de larmes. Inspirant profondément, il leva ses yeux apeurés vers son amant et dit d'une voix tremblante et encore entrecoupée de sanglots survivants:

-K...Kay...Faut pas que tu...Ce que tu...Non...Le fait pas! Il va y avoir...Du sang...Des larmes...La...La guerre...D'autres choses horribles...Non, Kay...Faut que tu arrêtes!

Sa voix était suppliante. Il ne voulait pas lui faire part du fait qu'il avait possiblement entrevu sa propre fin. Quelque part, il avait peur de découvrir que c'était exactement ce que Kay avait prévu....Ou encore qu'il s'enfichait, tout simplement. De toute façon, il pensait que ce n'était pas un élément utile à mentionner, puisque cela n'empêcherait certainement pas Kay de faire ce qu'il voulait faire, quoi que ce fût. Il doutait d'être assez important pour lui pour ça...Non, il avait juste peur pour lui, peur que ces larmes et ce sang ne soit celui de son amour. Il voulait éviter ça à tout prix...

Kay s'était levé... regardant Davy serpenter dans le lit jusqu'à ce qu'il s'adresse à Kay.

– « K...Kay...Faut pas que tu...Ce que tu...Non...Le fait pas! Il va y avoir...Du sang...Des larmes...La...La guerre...D'autres choses horribles...Non, Kay...Faut que tu arrêtes! » supplia-t-il.

D'un revers de la main, Kay balaya le message hors de son esprit. Il plaçait sa veste sur ses épaules lorsqu'il répondit

– « Arrêtes, Davy. Ce n'est qu'un mauvais rêve. Lèves-toi nous devons aller au voir le forgeron du village mixte. »

Kay suspendit sa phrase

– « ... euh je veux dire que je dois y aller ... je ... » il sembla hésiter « à moins que tu ne veuilles venir ? »

La fin de la phrase était hésitante. Une image de sang et de larme venait d'apparaître dans son esprit. Si Kay n'y prêtait pas particulièrement attention en tant normal, il savait que les Cupidons disposaient du don divinatoire. Mais il savait aussi que souvent les Cupidons n'avaient des visions que s'ils y étaient attachés. La vision n'était pas contradictoire avec ses plans, bien au contraire, mais il se rendait compte qu'il était dérangé que Davy soit concerné directement. Que diable lui prenait-il bon Dieu ! Ce n'était qu'un Célestien... une illusion de la Créatrice.

Il finit d'attacher ses bottes, pris dans sa table de chevet les notes qu'il avait rédigé la veille et sortit de la chambre

– « Dépêches-toi si tu veux venir Davy. Je ne te le répèterais pas deux fois. »

Il sentit son coeur se serrer lorsqu'il vit que Kay ne tenait pas compte de ses avertissements. Il ne comprenait pas sa réaction et, quelque part, aurait bien voulu le secouer pour lui faire comprendre...Mais il n'osait pas, évidemment. Jamais Kay n'accepterait un tel comportement de sa part, et plus que tout il avait peur qu'il ne l'abandonne...

Il fut cependant surpris d'entendre son amant hésiter et se reprendre dans ses mots. Cela ne lui ressemblait pas...Peut-être l'avait-il ébranlé un peu malgré tout, et qu'il voulait seulement qu'il ne le sache pas...Il l'espérait en tout cas.

Davy sauta bien sûr sur l'occasion: il détestait rester seul loin de Kay, et surtout après ce qu'il venait de vivre il tenait absolument à rester avec lui! Il sauta promptement sur ses pieds et fonça vers ses vêtements de jours:

-J'a...J'arrive, Kay!

Il fut habillé en moins de deux. Le jeune garçon fit rapidement leur lit tandis que l'autre terminait de se préparer, puis se posta sagement devant la porte d'entrée, comme un chien attendant que son maître vienne l'attacher pour sortir ( ce qui était exactement le cas, Davy portant toujours une laisse à l'extérieur).

(l'histoire continue à l'atelier du forgeron dans le village mixte)