Flashbacks

(suite de la storyline contée dans La puberté de Kay)

Kay se réveilla de bon humeur. Ce n'était pas courant. Davy dormait encore. Il le regarda. Un flot de pensées difficile à interpréter l'assaillir: sa réaction de la veille; la puberté de Davy; ses rêves; son plan... il écarta tout ces sujets, sauf le dernier. Son plan ! Il fallait qu'il révise son plan. Il se leva donc et se tourna vers Davy pour le réveiller... Il se ravisa au dernier moment, décidant qu'il avait bien le droit de dormir, vu combien il avait été un excellent amant hier.

– Un quoi ?, songea Kay, Un Partenaire ?

Il prit un instant pour y réflechir. Hier, il avait considéré Davy comme son partenaire. Comment devait-il comprendre cela ? Devait-il...

– Voilà que je recommence à m'écarter de ce qui est important, pensa-t-il en maugréant. Je dois me concentrer sur le plan.

Kay finit de s'habiller et décida d'aller dans la bibliothèque. Il voulait un thé noir et se rapprocha de Davy pour lui dire d'aller le faire. Puis, finalement se dit que non. Il avait été un excellent esclave la veille et donc il pourrait dormir... un esclave ! Pas un partenaire voyons.

Kay s'amusa en entendant le sursaut de Davy qui courait un peu partout dans la maison. Plus encore, lorsqu'il le vit passer de l'autre côté du cadre de la porte dans la cuisine, puis repasser dans l'autre sens vers la chambre. Le voir s'agiter ainsi, tout nu, par la température matinale qui commençait à devenir franchement fraiche ces temps-ci, amusait beaucoup Kay. Comme un garçon surexcité, qu'il était encore un peu, Davy semblait courir sans maîtriser complètement son corps: il courait à fond. Lorsque Davy arriva dans la bibliothèque, il était essoufflé alors que cela ne faisait pas plus d'une minute qu'il sautillait dans la maison. Ses joues étaient joliment rouges, son souffle était court, haletant comme un petit chiot adorable, et le froid avait probablement fait ressortir les contrastes de son corps par sa morsure. Le froid lui faisait toujours ressortir les marques des sévices qu'il avait subi jeune... celles qui restent toute une vie.

Cela rappela à Kay la première fois qu'il avait vu Davy. Il était si petit à cet époque, un tout petit garçon malgré ses dix ans, presque nu alors que dehors le froid s'attaquait à tous ce qui vivait. À ce moment, il ne comprenait pas comment il réussissait à ne pas hurler et pleurer de douleur. Enfin, il comprenait que la volonté puisse agir comme un rempart contre l'abus d'un maître — il connaissait bien cela. Mais ce petit garçon ne semblait pas avoir cette volonté. Il semblait au contraire subir comme une poupée. Cela faisait plus de cinq minutes qu'il était rentré, regardant le garçonnet par la fenêtre, alors que le patron était parti vérifier ce qu'il pouvait faire pour lui. Kay n'avait que 14 ans à ce moment, mais ses vêtements étaient richement parés, il portait un poignard à la ceinture et surtout avait offert au patron des joyaux comme il n'en avait jamais vu. Celui-ci ne s'était pas fait prié pour traiter Kay en petit prince. Mais Kay ressortit. Il alla voir le petit. Il était réfugié dans la niche du chien. Mais ses pieds dépassaient dehors. La neige commençait à mordiller ces adorables petits pieds.

– Comment peut-il rester ainsi ? Il va finir par mourir s'il reste là. Il a l'air de n'avoir que 6 ou 7 ans. Se dit Kay. Petit ? Hé petit ! Réponds-moi...

Le ton de Kay était doux. Le gamin ne bougeait pas. Était-il mort ? Kay s'approcha par curiosité. Il regarda dans la niche. Il vit alors clairement le visage du petit. On aurait dit un petit ange... mais un petit ange crucifié. Les marques striaient le corps du petit. Il avait dû être frappé par le martinet peu de temps avant. Kay connaissait ce genre de trace pour l'avoir subi de la part du monstre qui était son tourmenteur ces dernières années : Nork le démon. Lorsqu'il voulut s'approcher plus prêt, il entendit le bruit de la porte derrière lui.

– Monsieur, que faites-vous dehors, demanda le maitre de la maison de passe, vous pourriez attraper la maladie.
– Qui est ce petit garçon ?, demanda Kay
– Davy! Un bon garçon mais peu professionnel. J'ai dû le punir d'avoir trop crié hier. Le client s'est plaint monsieur

Kay aimait se faire appeler monsieur. Son regard flamboyant et noir à la fois imposait souvent sa volonté. Mais les parures de son manteau devaient aussi faire effet. Il regarda à nouveau Davy. Il avait de l'empathie pour lui... c'était étrange comme sensation. Depuis qu'il était arrivé sur Célestial à cause de la Créatrice, il n'avait jamais ressenti d'émotion pour une de ces horribles créatures qui vivaient ici, toutes piégées par l'imagination de cette menteuse d'adolescente qui jouaient les déesses... il la détestait elle ! Mais c'était la seule. Même Nork n'avait eu aucune signification à ses yeux. Avec autorité, et les yeux éclatants d'un rouge carmin, il dit au patron:

– Rentres et laisses-moi lui parler. Je viendrais vous voir après.

Il se dirigea vers la niche pour parler au petit garçon... comment s'appelait-il déjà ? Ah oui... Davy.

Kay se rappelait comment Davy l'avait regardé lorsqu'il s'était approché. Il semblait que les dernières énergies du garçon étaient toutes passées pour qu'il puisse se lever et combattre le froid. Maintenant qu'il le voyait de prés, Kay détaillait le garçon de ses yeux perçants. Ses membres étaient frêles, sa peau était pales et ses joues rouges. On eut dit une poupée de porcelaine, n'eut été ses traces de coup qui étaient parsemées sur son corps. Kay n'osait pas le toucher. C'est comme s'ils se disaient qu'il allait le casser. Au bout de plusieurs secondes, il lui parla.

– Je m'appelle Kay et toi ?

Une petite voix timide retentit. Kay n'était pas sur d'avoir saisi les paroles, mais il connaissait déjà la réponse. Ce n'était qu'une question pour commencer la discussion. Son sentiment premier de compassion avait mué en lui. Il se sentait bizarre. C'était de l'attirance physique, une forme d'amour étrange, un peu d'empathie, mais aussi peut-être une forme de perversion. Depuis son arrivé sur Célestial, il n'avait vécu que douleur et perversion. Ce n'était pas des perversions physiques, contrairement à ce qu'il voyait du petit garçon, mais une forme constante de destruction de sa morale et de ses valeurs, une destruction de lui-même. Nork, le démon qui l'avait recueilli adorait ce passe-temps. Malheureusement pour lui, il n'était pas tombé sur le bon petit garçon. Kay avait résisté. C'était un battant. Là, il découvrait un être faible, fait pour être soumis, soumis par obligation depuis fort longtemps. Il était attiré par cela. Il voulait passer de l'autre côté.

– Tu as quel age garçon ?
– Dix ans, répondit une voix timide et éteinte
– Vraiment ?, dit Kay étonné

Son excitation venait monter d'un cran. Il n'avait jamais eu de pulsions envers les autres garçons ou les hommes... pas avant d'arriver à Célestial. Mais là, chaque regard, chaque mot lui donnait envie de partager avec Davy un peu de temps... Non ! Il lui donnait envie de posséder le temps de Davy... de posséder Davy. Il le voulait pour lui en fait. Il voulait un jouet comme un enfant normal veut une peluche. Il pensa le câliner et le flatter pendant un instant. Avoir le réconfort qu'il n'a jamais pu avoir ailleurs depuis presque deux ans. Il voulait jouer avec... comme un enfant avec un jouet et non un ami ! Il ne savait plus vraiment ce qu'il pensait en fait. Mais il savait qu'il voulait garder ce garçon prés de lui. Il aller l'emporter. Et il était certain que ce n'était pas le patron du bordel qui l'en empêcherait... mais il lui fallait s'assurer d'une chose.

– Davy... regardes moi petit. J'ai quelque chose à te dire.

Kay avait les yeux flamboyants sans qu'il s'en rende compte... Peut-être l'influence de son ancien maître agissait-elle.

– Davy, reprit-il, je peux te sauver. Mais...Acceptes-tu de m'appartenir?

La question de Davy sortit Kay de ses pensées... il restait cependant un peu nostalgique, comme on l'est par un souvenir marquant, par une odeur de notre enfance, par un moment unique.

– Euh... dit-il hésitant Oui bien sûr. Refais moi du thé s'il te plait. Celui-ci est froid.

La fin de la phrase avait été dit sur son ton autoritaire habituel. Au du moins ce serait le cas, si le « s'il te plait » n'avait pas été si appuyé. Kay regarda s'éloigner Davy. Sans s'en rendre compte, il retourna à ses pensées.


Le patron de la maison close n'avait pas voulu lui vendre Davy malgré ce qu'il proposait... il avait pourtant offert une somme qui lui semblait même fort raisonnable. Ceci l'avait encouragé à penser que le garçonnet valait largement la peine. Le patron était un faible, un Célestien. Et s'il résistait tant à Kay, c'est qu'il cachait quelque chose. Certes, Kay n'avait pas encore la force de domination dont il dispose aujourd'hui. Son regard s'était embrasé, mais cela ne durait pas. Depuis les choses avaient changés et les Célestiens, notamment les humains célestiens, baissaient vite les yeux devant lui et en avait peur.

Kay partit de la maison close en expliquant au patron que ce n'était pas grave et qu'il trouverait bien un autre garçon. C'est d'un pas décidé qu'il s'en allât dans la direction du village humain. Cependant dès le premier refus du patron, Kay avait commencé à élaborer un plan. Il savait que ce qu'il allait faire était dangereux et même Mal. Des gens pourraient mourir. Des Célestiens pourraient mourir... pas des vraies personnes donc.

À trois heures du matin, un feu se déclenchait dans la cuisine de la maison close. Les flammes touchèrent les bonbonnes de propane et l'explosion réveilla tous ceux et celles qui dormaient dans un rayon d'un kilomètre. Les employés se précipitèrent pour éteindre le feu, tout le monde se demandant où était passé le patron. Plus tard les autorités déclarèrent qu'il avait dû périr dans un incendie qu'il avait lui même provoqué, probablement en allant se faire à manger. Le corps fut retrouvé, consumé, au milieu des décombres. Personne ne fit attention à la trace sur son torse au niveau du cœur, de la largeur d'une lame d'épée.

Pendant que tout le monde hurlait et se dépêchait d'aller vers l'arrière de la maison ou de s'enfuir vers leurs automobiles, la petite porte de la cour extérieure s'ouvrit. Kay entra et se dirigea vers la la niche du chien. Le patron y avait laissé Davy mais lui avait donné des couvertures chaudes pour la nuit. Kay trancha la corde qui attachait Davy avec une épée pleine de sang. Le petit garçon était endormi lorsque Kay se pencha vers lui.

– Dépêches-toi... nous devons partir le plus vite possible. Habilles-toi avec ça.

Il aida Davy à se lever et lui donna une paire de botte chaude, un manteau et un bonnet.

– Tu m'appartiens maintenant.

Après 10 minutes de marche, ils arrivèrent près de la route où un taxi attendait. Aussitôt installé, Davy s'endormit sur les jambes de Kay.

– Chauffeur, on retourne en ville. Et n'oubliez pas que je vous paye cher pour être diligent et discret.


Cinq ans s'étaient écoulé. Rien ne semblait avoir changé. Davy était toujours obéissant. Kay se sentait toujours en contrôle depuis sa rupture violente avec Nork. Un peu plus en contrôle qu'avant. Mais il ne s'était plus jamais laissé dicter une conduite depuis. Enfin... quelque chose avait changé. Ce qui était survenu en Davy était nouveau. Kay se demanda comment cela influencerait la suite des choses. Il ouvrit le lourd livre à la couverture de cuir et commença la lecture d'un paragraphe écrit dans un langage ancien et cryptique.

Kay était concentré sur sa lecture. C'est à peine s'il aperçu Davy déposer le thé. Mécaniquement il le remercia.

– Voilà... Est-ce que tu veux autre chose ?

Kay leva la tête. La voix de Davy semblait être au second plan. Il hésita dans sa réponse.

– Non ça va merci. J'ai une lecture difficile à faire. Laisses-moi, s'il te plait.

Encore une fois, il s'étonnait de sa politesse. Mais son esprit était ailleurs. Il était concentré sur sa quête... sur l'application de son plan. Demain il devait aller retrouver le forgeron du Village mixte pour pouvoir récupérer l'épée qu'il faisait forger. Il avait conçu l'épée pour un et un seul but : détruire l'œuvre de la Créatrice en faisant prendre aux Célestiens conscience de leur statut. Cependant, il lui fallait faire une offrande aux Dieux; un rituel élaboré. Et ceci était un acte délicat. Si la Créatrice et les autres créateurs choisissaient la forme du monde, ils n'en dessinaient que les contours et ne pouvaient pas le contrôler entièrement. Pour preuve, il était là... chaque habitant avait aussi son libre arbitre. Personne ne croirait Kay, s'il se contentait de dire à voix haute qui était la Créatrice. Il lui fallait une vrai preuve. Et le rituel devait servir à ça.

En dehors de Davy, la seule personne pour qui il avait gardé un sentiment était la Créatrice. Il la tenait responsable de tous ses problèmes. Il se souvenait en détails de la première fois qu'il l'avait croisé... ça n'avait pourtant pas commencé par de la haine, bien au contraire.


Kay n'était qu'un petit garçon de treize ans, lorsque son chemin croisa celle d'une petite fille qui allait changer sa vie. Il était dans le monde humain... Il n'était qu'un petit humain normal. Kay adorait se ballader dans les forêts et la forêt qu'il venait de découvrir ce jour fatidique était des plus belles. La lumière se diffusait parmi les feuilles comme des projecteurs qui illuminaient un Opéra dans lequel les oiseaux et les écureuils jouaient le premier rôle. La pluie de la veille avait réveillée les odeurs enfouies, agrémentant la scène d'une senteur printanière. Le bruit des feuilles et le vent dans les arbres formaient l'orchestre de ce moment magique. Et là, il la vit. Une petite fille qui semblait paisible, comme en harmonie elle aussi avec la forête. Ses cheveux bruns, son visage délicat, sa délicate prestance l'intimidèrent. Elle tenait dans ses mains un livre qu'elle lisait; ou qu'elle dévorait plutôt. Il resta là à la regarder.

Lorsque Kay se réveilla, la petite fille n'était plus là. La forêt n'était plus la même. Ce n'était pas le décor qui avait vraiment changé, mais plutôt le feeling qui s'en dégageait. Le soleil était radieux et la lumière était diffuse, le ciel d'un bleu peu naturel, les arbres semblaient plus vivants et à l'écoute des bruits des animaux. Ces bruits ne ressemblaient pas non plus aux bruits que Kay connaissait. Étaient-ils plus bruyant ? Étaient-ils plus mélodique ? Étaient-ils plus exotique ? Kay ne pouvait le dire, mais il savait que ce n'était pas les bruits qu'on entendait dans une forêt de chez lui.

Tout ceci émerveilla Kay, l'espace d'un instant. Un petit instant où il se dit qu'il rêvait éveillé. Un instant où il aimait son rêve. Mais cet instant ne dura pas longtemps. Une main ferme attrapa son épaule. Il se retourna et croisa le regard de l'être qui allait changeait son existence. D'abord en lui prouvant que ce monde n'était pas un rêve, ensuite en lui montrant que la souffrance était bien réelle. C'était sa rencontre avec Nork.


Kay sursauta sur son siège. Le souvenir de la douce rencontre avec la Créatrice s'accompagnait toujours de l'horrible cauchemar qui s'en suivait. Une goutte de sueur coulait le long de sa tempe. Il prit sa tasse pour boire une gorgée. Un léger tremblement de la main le fit échapper la tasse qui s'écrasa contre le sol. Il détestait ça. Il détestait ce moment de faiblesse. Il voulait rejeter ce qui s'était passer après. Il haïssait la Créatrice de l'avoir emmené dans cette prison.

Un jour, il se vengerait. Et ce jour approchait enfin.

(La suite de cette storyline continue dans le sujet de l'épée des Joyaux)